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Méditation chrétienne

De l’éternelle jeunesse de notre âme

Imprimer Par Maître (Johannes) Eckhart

Dominicain allemand. Théologien et philosophe, il enseigna à Paris et à Cologne. Son œuvre, à l’origine du courant mystique rhénan, se propose d’élever le théologique au rang d’une sagesse véritable.

Nous lisons dans l’Évangile que messire saint Luc parle d’un jeune homme qui était mort. Notre-Seigneur  vint  à  passer, s’approcha, eut pitié  de lui,  le  toucha et  dit :
« Jeune homme, je te dis et je t’ordonne, lève-toi ! »
 
Sachez que Dieu est pleinement dans tous les hommes de bien. Il y a dans l’âme un quelque chose où Dieu vit dans l’âme, et il y a dans l’âme un quelque chose où l’âme vit en Dieu. Mais si l’âme se détourne de ce qui est en elle et se tourne vers les choses extérieures, elle meurt et Dieu meurt à l’âme. Cela ne veut pas dire du tout que Dieu meure en Lui-même; il reste tout aussi vivant en Lui-même. Si l’âme se sépare du corps, le corps est mort, et l’âme en elle-même reste vivante ; Dieu peut tout aussi bien être mort à l’âme, mais rester vivant en Lui-même. Or, sachez-le, il est dans l’âme une puissance plus vaste que le vaste ciel qui est pourtant incompréhensiblement vaste, tellement vaste qu’on ne peut l’exprimer ; et cette puissance est précisément bien plus vaste encore !
 
Eh bien ! écoutez-moi très attentivement ! Dans cette noble puissance, le Père céleste dit à son Fils unique : « Jeune homme, lève-toi ! » Si grande est l’union entre Dieu et l’âme que cela paraît incroyable, car Dieu est en Lui-même tellement au-dessus de tout qu’aucune connaissance ni aucun désir ne peut parvenir jusque-là. Le désir atteint plus loin que tout ce que l’on peut saisir par la connaissance. Il est plus vaste que tous les cieux, même que tous les anges ; et pourtant une petite étincelle de l’ange donne vie à tout ce qui est sur la terre ! Le désir est vaste, vaste au-delà de toute mesure. Mais tout ce que la compréhension peut saisir, tout ce que nos désirs peuvent désirer, ce n’est pas Dieu. Là où finissent la compréhension et le désir, là où les ténèbres se font, là commence la lumière de Dieu.
 
Notre-Seigneur dit : « Jeune homme, je te le dis, lève-toi ! » Eh bien ! Si je veux bien comprendre en moi le dit de Dieu, il faut qu’à tout ce qui est mien et particulièrement à tout ce qui est temporel je sois aussi complètement étranger qu’à tout ce qui se trouve au-delà de la mer. En elle-même l’âme est, en effet, aussi jeune que lorsqu’elle fut créée, et l’âge qui semble l’atteindre ne touche en vérité que le corps, dont les sens lui servent à s’exercer. Un maître dit : « Si un vieillard avait les yeux d’un jeune homme, il verrait aussi bien que lui. » Hier, j’étais assis quelque part et j’ai dit une parole qui paraît tout à fait incroyable. N’ai-je pas dit, en effet : « Jérusalem est tout aussi près de mon âme que le lieu où je me trouve en ce moment. » Oui, en bonne vérité, même ce qui est à plus de mille lieues au-delà de Jérusalem est tout aussi près de mon âme que mon propre corps ; j’en suis aussi sûr que d’être homme, et les clercs instruits le comprendront sans peine. Croyez-moi, mon âme est aussi jeune que quand elle fut créée ; elle est même encore bien plus jeune ! Et croyez-moi, je ne serais pas étonné si demain elle était plus jeune encore qu’aujourd’hui !
 
L’âme a deux puissances qui n’ont rien à faire avec le corps et qui opèrent au-dessus du temps : l’intellect et la volonté. Ah ! si les yeux de l’âme étaient ouverts en sorte que la connaissance pût contempler clairement la Vérité, croyez-moi, le propriétaire de ces yeux pourrait laisser toutes choses aussi facilement qu’un pois, une lentille ou trois fois rien ; bien plus, je l’atteste sur mon âme, pour cet homme toutes choses seraient autant que rien ! Il est vrai que certaines personnes laissent tout par amour et considèrent comme de grand prix tout ce qu’elles ont laissé. Mais l’homme qui sait qu’en vérité ce n’est encore absolument rien que de se laisser soi-même et toutes choses, ah ! l’homme qui vit ainsi, en vérité, toutes choses lui appartiennent
 
 Il est dans l’âme une puissance à laquelle toutes choses sont également douces ; oui, le meilleur et le pire sont absolument choses égales pour cette puissance. Elle saisit, en effet, toutes choses par-delà ici et maintenant. « Maintenant », cela veut dire le temps, et « ici », c’est l’espace, le lieu où je me trouve maintenant Si donc j’étais sorti de moi-même et entièrement libre de tout, ah ! le Père engendrerait immédiatement dans mon esprit son Fils unique et si purement que mon esprit pourrait l’engendrer en retour. Oui, en bonne vérité, si mon âme était aussi prêté que l’âme de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père opérerait tout aussi purement en moi que dans son Fils unique, et pas moins ; car II m’aime du même amour dont II s’aime Lui-même.
 
Saint Jean a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. » Eh bien ! Pour qu’un homme entende cette parole dans le Père, en qui tout est tranquille, il faut qu’il devienne lui-même absolument tranquille et se détache de toute image et même de toute forme. Il faut qu’il s’unisse à Dieu si fidèlement que le monde entier ne puisse lui causer ni plaisir, ni peine. Il doit prendre toutes choses en Dieu, telles qu’elles sont en Dieu.
 
« Jeune homme, je te dis, lève-toi ! » dit Notre-Seigneur. Il veut opérer l’œuvre Lui-même. Celui qui m’ordonne de porter une pierre, il pourrait tout aussi bien m’ordonner d’en porter mille plutôt qu’une, s’il a l’intention de les porter lui-même. De même, si quelqu’un m’ordonne de porter un quintal, il pourrait aussi bien m’ordonner d’en porter mille plutôt qu’un, s’il a l’intention de les porter lui-même. Eh bien ! donc, puisque c’est Dieu qui veut opérer cette œuvre Lui-même, l’homme doit obéir et ne résister en rien. Ah ! si l’âme habitait au-dedans d’elle-même, le monde entier lui serait présent ! Il y a dans l’âme une puissance, non pas seulement une puissance, mais quelque chose de plus, un être, non pas seulement un être, non, quelque chose de plus encore, ce qui sépare de l’être. Et cela est tellement pur, si élevé et si noble en soi que nulle créature ne peut y pénétrer ; Dieu seul habite à l’intérieur. Oui, en bonne vérité, Dieu même n’y peut entrer en tant qu’il a un mode, en tant qu’il est sage ou qu’il est bon ou qu’il est riche. Oui, Dieu ne peut y entrer avec aucun mode quel qu’il ce soit, mais uniquement avec sa pure Nature divine.
 
Eh bien ! réfléchissez encore une fois au dire de Notre-Seigneur : « Jeune  homme, je te dis, lève-toi ! » Qu’est-ce que le dit de Dieu ? C’est l’opération de Dieu, et cette opération est si noble et si haute que Dieu seul l’opère. Or, sachez-le, tout notre perfection et toute notre béatitude exigent que l’homme traverse et dépasse tout être créé et toute temporalité, et même tout être, et qu’il entre dans ce fond qui est sans fond.
 
Nous prions Notre-Seigneur bien-aimé de devenir Un et d’habiter à l’intérieur et que Dieu nous aide à atteindre ledit fond ! Amen.

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