Il en va de la liberté comme d’un artiste qui joue du violon. Avant de devenir un virtuose, le musicien apprend ses gammes et toutes les règles de la musique. Il apprend à lire les notes sur la partition. Il développe son habileté à manier l’instrument. Et il répète. Il répète les mêmes phrases musicales. Parfois jusqu’à des centaines de fois. Jusqu’au moment où il maîtrise la théorie musicale, la lecture à vue, l’instrument et la pièce qu’il veut jouer. Alors, mais alors seulement, il entre en communion avec l’oeuvre et son auteur. Il interprète la pièce. Il devient créateur à son tour.
Cet artiste est libre. Il est en possession de tous ses moyens. Et il peut laisser libre cours à son inspiration, à son élan intérieur, à sa flamme. Son talent et sa technique se mettent au service de ce qu’il veut exprimer à travers l’oeuvre qu’il interprète.
Il en est ainsi de la liberté. Le jour où nous devenons des virtuoses de la liberté est précédé par des semaines et des années de longs apprentissages. Il a fallu bûcher fort pour arriver à ce sommet. Bûcher pour revendiquer sa liberté, bien sûr. Même dans les pays où les droits de la personne sont reconnus, la liberté n’est pas donnée facilement! Mais l’être libre a bûché surtout pour apprendre à manier la liberté avec aisance, à en faire la musique de sa vie.
Il a fallu trimer longtemps pour découvrir nos possibilités, préciser nos rêves et les intégrer dans l’ensemble de la vie. Il a fallu beaucoup tâtonner avant de trouver notre place dans un univers peuplé d’autres libertés. Une liberté ne peut être vraie que dans le concert des multiples libertés qui l’entourent. Elle doit trouver sa place dans cet orchestre pour participer à l’harmonie universelle.
Il a fallu dépasser des obstacles. Vaincre ce n’est pas d’abord mater l’adversaire mais déployer notre force, nos capacités. Vaincre c’est davantage nous vaincre nous-mêmes, dépasser les limites de l’inexpérience, parvenir à des habiletés inespérées.
Il a fallu des échecs, des chutes pour découvrir le poids de nos rêves, l’importance que nous leur accordons. Il a fallu perdre pour découvrir le prix de nos options, des choix qui guident nos démarches. Les gens qui ont souffert savent à quel point la vie est précieuse. Ils savent que le bonheur est fragile et ne peut vivre que par une vigilance constante, une attention de tous les instants.
La personne qui parvient au sommet de la liberté ne peut chanter qu’une victoire provisoire. Elle aura à continuer la bataille pour demeurer à la cime de cette montagne. La liberté est rarement confortable. Il serait tellement plus facile de nous en remettre aux recettes toutes faites. Il serait tellement plus sécurisant de nous laisser guider par les solutions classiques. Pourquoi nous fatiguer quand nous pouvons suivre le troupeau sans nous poser de question? Et nous décharger de nos responsabilités en suivant la ligne du parti? La tentation de revenir en arrière est tapie dans notre inconscient. Elle guette les moindres ouvertures pour attirer notre attention. Peut-être sentons-nous parfois la nostalgie de notre enfance, cette époque où d’autres prenaient les décisions à notre place et se portaient garants de leurs conséquences. Demeurer libres nous demande donc autant d’efforts, autant de combats que l’accession elle-même à cette liberté.
Mais c’est le prix à payer pour devenir et demeurer humains. Car il n’est point d’humanité vraie sans liberté vraie. Il n’est point d’homme ou de femme debout, sans libre pensée, libre décision, libre action. Il y a et aura toujours des lois, des contraintes, des limites. Mais il y aura encore des hommes et des femmes debout si ces hommes et ces femmes continuent de prendre eux-mêmes les décisions qui les concernent. Et s’ils choisissent eux-mêmes de suivre ces lois, d’accepter ces contraintes. Ils auront encore des limites, mais ils choisiront de vivre sans se laisser apeurer par ces frontières. Bien au contraire, ils en feront des tremplins pour aller plus loin.