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Face au vent

Imprimer Par Denis Gagnon

J’ai pris l’air ces jours-ci, comme on dit dans les aéroports. J’allais loin et il fallait traverser les paysages en ligne plus directe et à une vitesse plus ronronnante. J’ai pris l’air et j’ai cru sentir le vent affronter le nez de l’avion. J’ai senti le gros oiseau de métal mordre dans l’air comme dans une pomme fraîchement cueillie. Goulûment.

Le vent se débattait. Le vent a du caractère. Il résiste. Le vent ne démissionne jamais à la première résistance.

J’ai appris cela alors que j’étais très jeune. Il ventait souvent dans mon village natal. J’aimais affronter le vent. Je le regardais en face, cet invisible! J’avais l’impression qu’il cherchait la bagarre. Je pointais vers lui mon nez comme le cow-boy pointe son arme vers l’adversaire. Le vent repoussait. Je tenais bon. « Tu ne m’auras pas, que je lui disais. Je suis plus fort que toi. »

Je devins moins intrépide et moins prétentieux le jour où je vis un gros saule abattu par la tempête. Il gisait sur le sol, terrassé. J’appris alors que le vent ne joue pas toujours. Il peut être taquin, mais il peut aussi être violent. Il peut tuer. Bien avant le tsunami, bien avant la Katrina et la Rita de la Nouvelle-Orléans et du Texas, j’ai découvert la méchanceté du vent.

J’aurais pu laisser naître la peur, me cacher au moindre déplacement d’air. J’ai choisi plutôt d’apprendre à rencontrer le vent. J’ai développé des règles de politesse éolienne. Je me suis laissé entraîner dans un rituel d’apprivoisement. Ne me séduisait-il pas lui-même, ce vent qui charrie de si bonnes odeurs? Je ne voulais surtout pas renoncer à ses parfums.

Longtemps après mon enfance, j’ai découvert le prophète Élie. Un prophète, c’est un « senteux » de vent, un humeur d’orages et de tempêtes. Élie incarnait bien cette définition. (Cf. 1 Rois 19, 9-18)

Un jour qu’il voulait voir Dieu lui aussi! , Élie sortit prendre l’air. Il se trouva soudain en face d’une bourrasque, un vent musclé. Dieu n’était pas dans la bourrasque. La terre trembla et bouscula tout. Dieu ne se montra pas davantage le bout du nez. Le feu se mit de la partie. Dieu continua de se tenir à l’écart. Puis, tout à coup, une brise légère. Dieu était là, ou du moins Élie crut le reconnaître dans ce souffle chaud et caressant.

Beaucoup de croyants ont fait une expérience semblable à celle d’Élie à travers les siècles: des mystiques, des saints, du monde ordinaire et même de grands bandits bourrus. Personnellement, les vents combatifs et bousculants m’ont plus souvent parlé de Dieu que les brises légères. J’ai la foi en cette forme de lutte à la manière de Jacob sur la route de Béthel (Cf. Genèse 32, 23-33). Certains jours, Dieu me résiste. Souvent, c’est moi qui regimbe. Mais j’ai l’impression que lui et moi préférons des relations de grands vents. Nous aimons soulever des vagues. Nous nous résistons. « Dieu ne va pas de soi », que je me dis. Et je pense qu’il se dit, lui aussi: « L’homme ne va pas de soi »! Il ne faut pas trop vite proclamer nos existences respectives. Élie n’a pas vu Dieu au premier coup de vent. Peut-être faut-il de la patience. L’important: garder le nez face au vent, quel qu’il soit. Nous finirons bien par nous rencontrer.

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