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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

10e Dimanche du temps ordinaire. Année A.

Imprimer Par Jacques Sylvestre, o.p.

Juges de ce monde

Jésus, sortant de Capharnaüm, vit un homme, du nom de Matthieu, assis à son bureau de publicain (collecteur d’impôts). Il lui dit : « Suis-moi. » L’homme se leva et le suivit. Comme Jésus était à table à la maison, voici que beaucoup de publicains et de pécheurs vinrent prendre place avec lui et ses disciples. Voyant cela, les pharisiens disaient aux disciples : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? » Jésus, qui avait entendu, déclara : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Allez apprendre ce que veut dire cette parole : C’est la miséricorde que je désire, et non les sacrifices. Car je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. »

Commentaire :

Peut-on lire ce passage sans évoquer au préalable l’extase de Moïse au sommet du Sinaï. Le prophète prie Yahvé de lui faire voir sa gloire (Ex.33,18+) et ce dernier de répondre : « Tu ne peux voir ma face et demeurer en vie. Voici une place près de moi. Tu te tiendras sur le rocher, et quand passera ma gloire, je te mettrai dans la fente du rocher et je t’abriterai de ma main durant mon passage. Puis j’écarterai ma main et tu me verras de dos, mais ma face on ne peut la voir ».

Alors Yahvé passa devant lui et Moïse s’écria : « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et riche en grâce et fidélité, qui garde sa grâce à des milliers de générations, tolère faute, transgression et péché, mais ne laisse rien impuni et châtie la faute des pères sur les enfants et les petits-enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération ! Aussitôt Moïse tomba sur le sol et se prosterna » (Ex. 34, 6-8 ; 20,5 ; 33,19). Le terme « pitié » utilisé ici dans la traduction française rend assez mal l’expression sémitique dont le sens recouvre des attitudes de loyauté, de bonté et de fidélité. Osée, Jérémie et Isaïe sont les prophètes qui rendent le mieux la vérité de cette longue histoire d’amour : « Quand Israël était enfant…» (Os. 11,1 ; Jr. 3,12+ et 31,20 ; Is. 54,6+)

Il fait bon de retrouver ce Dieu Amour attablé avec les pécheurs et les publicains. Jésus, marcheur solitaire sur les routes de Palestine, qui s’arrête dans les synagogues des Juifs, proclame le Bonne Nouvelle du Royaume et guérit toute maladie et langueur, particulièrement celle du péché, est vraiment le médecin venu pour les malades et les pécheurs. Jésus ne fait pas que célébrer la miséricorde de Dieu, son Père, il appelle des pécheurs à le suivre. La « cour de miracles » préférée de Jésus est constituée de publicains et de femmes de mauvaise vie : à eux la Bonne Nouvelle du salut est annoncée. Le bon pasteur ne peut permettre qu’une seule brebis soit repoussée ou se perde.

L’évangéliste choisit l’appel d’un publicain pour démontrer cette tendresse de Jésus. Lévi était à son bureau de la douane, publicain honni des Juifs en raison même de sa profession. A l’appel inconditionnel de Jésus, Lévi répond par une obéissance immédiate. Ainsi le publicain inconnu deviendra-t-il l’un des Douze, appelé Matthieu (10,3). Et Jésus sera de la fête à Capharnaüm. On accourt de toute part entourer celui qui, à la différence des pharisiens, accueille sans le moindre mépris les pécheurs et mange avec eux. Perspective du festin eschatologique à la fin des temps alors que Dieu accueillera de nombreux pécheurs au détriment des invités qui ont trouvé excuse pour se récuser (Mt. 8,11+). Pourquoi cette préférence ? Pour le Maître, les actes correspondent bien à sa parole : « Ce ne sont pas le bien portants, mais les malades qui ont besoin du médecin ». Jésus se situe ainsi dans la plus pure tradition du prophétisme : « Allez ! Apprenez que c’est la miséricorde que je désire et non le sacrifice » (Os. 6,6). Jésus ne laisse donc aucune excuse à ses délateurs aux yeux desquels il se souillait légalement en s’attablant ainsi avec les impurs.

Jésus renverse donc la perspective millénaire ou presque : le culte et les sacrifices doivent céder le pas à la miséricorde et à la réconciliation. « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. Hypocrites ! Isaïe a bien prophétisé de vous » (Mt. 15,7-9). L’évangéliste rappellera dans la suite un autre propos de Jésus concernant cette situation : « Si vous aviez compris le sens de cette parole : c’est la miséricorde que je désire et non le sacrifice, vous n’auriez pas brisé le bâton sur des gens qui sont sans faute » (Mt.12,6+). La conduite de Jésus manifeste la vraie nature de Dieu, sa miséricorde. Jésus révèle l’amour du Père qui « fait lever son soleil sur les méchants et les bons, tomber la pluie sur les justes et les injustes » (5,45). Deux images de Dieu sont ici confrontées : d’une part, l’impitoyable juge, le Dieu de toute vengeance, sans aucune assise dans le prophétisme, et d’autre part, l’image de la miséricorde sans limite. Ainsi doivent être perçues la divinité et la perfection divine.

« Apprenez ce qui signifie : c’est la miséricorde que je désire et non le sacrifice ». La manifestation en Jésus de la miséricorde de Dieu fait éclater les frontières. L’appel du publicain est un signe de la bonté infinie de Dieu à l’égard des humains, surtout les marginalisés, les tenus à l’écart.

Quelle leçon de pastorale pour nous, qui trop souvent montons sur le banc et nous improviser juges de ce monde !

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