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La part invisible d’une société

Imprimer Par Denis Gagnon, o.p.

I l n’y a pas que les guerres et les actes terroristes qui transforment la planète. Les découvertes font surgir de nouvelles inventions. Les progrès en divers domaines modifient et les choses et les personnes. De nouvelles attitudes, de nouveaux comportements apparaissent. Les mentalités changent. Les cultures se modifient.

Il en va de même dans l’univers de la spiritualité et de la religion. La foi et les croyances appartiennent à la sphère de l’universel et elles débordent le temps et l’espace. Nous pourrions penser, par conséquent, que rien ne bouge de ce côté-là. Mais il n’en est pas tout-à-fait ainsi. Les chrétiens d’aujourd’hui vivent leur foi avec des accents différents de ceux de leurs ancêtres. Les musulmans, les juifs, les bouddhistes connaissent leurs propres changements en dialogue ou en confrontation avec les réalités sociales et culturelles de leur époque et de leur milieu.

Au Québec, on voit changé progressivement la géographie de la religion. Ce coin de planète était naguère un château-fort de l’Église catholique. Chaque petit patelin avait son église. Chaque quartier, son clocher. On baptisait de noms de saints la moindre ruelle, le plus humble des bourgs. Les lacs, les rivières, les collines et les montagnes perpétuaient la litanie des canonisés de tout acabit.

Églises, chapelles, oratoires, monastères, couvents, cimetières, monuments inscrivaient la foi chrétienne dans l’espace. Dieu jumelait son histoire à celle que nous étions en train de rédiger d’événements sociaux en événements religieux. Tout se tenait, et se tenait bien, entre le ciel et la terre québécoise. Dieu nous ressemblait d’autant plus que nous lui ressemblions nous-mêmes. À l’image et à la ressemblance les uns des autres.

Les choses ont changé. Toutes les choses, depuis la transformation des paysages jusqu’aux mentalités profondes des personnes. Que dirait Champlain s’il revenait visiter sa ville de Québec? S’y retrouverait-il? Resterait-il quelque coin de terre en tout point semblable à ce qu’il a connu? Moins loin que le fondateur de la Cité de Québec, nos arrières-grands-parents s’y reconnaîtraient-ils, à peine cent ans après leur départ? Tout change, et rapidement.

Nous acceptons le changement plus que nous le récusons. En même temps, nous tenons à ne pas perdre le souvenir du passé. Nous souhaitons garder des témoins d’une époque ou l’autre. Le patrimoine a contribué et continue de contribuer à la réalisation de notre culture, à la conquête de notre identité.

C’est pourquoi, depuis quelques années, des organismes de toute sorte s’efforcent de trouver des moyens de conserver les bâtiments et les oeuvres qui ont servi à faire naître et à vivre la foi catholique en terre québécoise. Nous ne pouvons pas, dit-on, interpréter et comprendre la culture et la mentalité actuelles sans reconnaître qu’elles prennent leur source dans un passé religieux, et un passé religieux catholique. Les changements au sein de l’Église amènent les paroisses et les communautés religieuses à quitter des bâtiments pour aller vivre ailleurs. On assigne à plusieurs églises et maisons religieuses de nouvelles vocations: centres d’études et d’animation culturelles, condominiums, maisons de réhabilitation, etc.

Beaucoup d’organismes cependant souhaitent que ces biens gardent un minimum de leur vocation première. Que ces bâtiments cultuels se muent en biens culturels. Qu’on respecte l’architecture pour préserver le paysage ou pour sauver l’oeuvre d’artistes qui ont marqué l’histoire.

Tout cela est non seulement légitime et louable, mais en outre c’est nécessaire. Ce sont des biens précieux. Je souhaite cependant qu’on accorde autant d’attention au patrimoine spirituel lui-même, à une expérience réelle du mystère de Dieu. Que l’Église, malgré ses fragilités, continue de faire vivre des aventures de foi, de soutenir des quêtes de sens, de maintenir des services religieux qui nourrissent les personnes, de construire des communautés de croyants et de croyantes qui témoignent de Jésus Christ.

Ce patrimoine vivant est nécessaire pour ceux et celles qui veulent le vivre. Il est nécessaire aussi pour la ville, le village, le pays, la planète à qui il apporte cette part d’invisible qui les appelle au-delà d’eux-mêmes. La foi concerne autant les sociétés que les individus. Il lui arrive d’entrer au musée, mais sa véritable patrie est la place publique.

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