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Billet hebdomadaire

Absolument pour rien ?

Imprimer Par Denis Gagnon, o.p.

Chère Madame Margaret Hassan,
Nous avons appris, ces jours-ci, votre mort. Quelque part en Iraq, des terroristes ont mis fin à vos jours malgré vos supplications et les appels e empressés de ceux qui vous aiment. J’aurais pu vous écrire plus tôt si j’avais souhaité que vous receviez ma missive. Mais il faut que j’avoue que je vous écris beaucoup plus pour me rejoindre que pour m’adresser à vous. J’ai besoin de dire ce qui m’habite depuis que l’on vous a assassinée.

Vous ne méritiez pas ça. Personne ne mérite la mort. Pas même ceux qui vous ont enlevée et finalement tuée. La mort est toujours de trop. Laissons ce sujet pour le moment. Revenons à vous.

Qu’aviez-vous fait pour qu’on pense à vous faire disparaître? Rien. Absolument rien. Vous êtes une victime qui rejoint la caravane de tous ces innocents que la guerre d’Iraq a traquée d’une façon comme d’une autre. Les guerres sont toujours immorales parce qu’elles s’amusent avec la mort. La haine porte en elle le goût de tuer. Certains provoquent la guerre pour faire mourir. Quant aux autres, ils sont contraints d’aller au combat pour se défendre, pour se protéger de la haine. La plupart du temps – du moins de nos jours – les morts se trouvent parmi les petits, les faibles, ceux et celles qui n’ont rien fait pour que la guerre se déclenche. Ne meurent que ceux qui se trouvent par hasard sur le champ de bataille des autres. Les grands et les gros s’en sortent. Ils ont des cachettes pour échapper à leurs ennemis. Ou bien ils font la guerre assis confortablement dans leur bureau.

Madame Hassan, vous faites maintenant partie des disparus. Pour rien. Absolument pour rien. Pourquoi alors votre «cas» (comme dirait le juge ou le médecin) nous bouleverse tant? Plus que les autres encore? Tout simplement parce que vous avez consacré trente belles années de votre vie auprès des Iraquiens. Vous vous êtes dévouée auprès des enfants par l’entremise de l’organisme CARE. On dit même que vous avez accompli votre tâche bénévolement.

Vous n’étiez pas une ennemie des Iraquiens. Au contraire, vous étiez à leur service, discrètement mais efficacement. Vous aimiez ce peuple que vous aviez choisi. Après toutes ces années, vous étiez l’une des leurs. Vous étiez devenue une vraie Iraquienne.

Peut-être avez-vous été assassinée pour cela… Vous aimiez et on vous aimait. Vous serviez et on admirait votre dévouement. Vous étiez appréciée par les deux camps. Vous étiez un point d’entente entre les belligérants. En vous frappant, on dérangeait davantage. En vous tuant, on bouleversait les bons comme les mauvais, les alliés et les ennemis. Et on rendait la guerre encore plus ignoble, plus inadmissible. Et on rendait les provocateurs plus détestables. La source de la guerre devenait encore plus exécrable. Et les bavures des Marines comme celles des rebelles encore plus scandaleuses. Et, par conséquent, plus justifiable de faire appel au terrorisme.

Madame Hassan, on ne vous a pas tuée absolument pour rien. Votre mort est une arme très dangereuse. Le bon peuple qui en a assez de cette guerre monstrueuse risque de monter aux barricades à son tour et de transformer ses chefs en ennemis à combattre.

D’autres personnes qui vous ressemblent, des hommes et des femmes de dévouement et de générosité, vont probablement subir le même sort que vous. À moins qu’on cesse de se durcir sur ses positions, d’un côté comme de l’autre. À moins qu’on finisse par reconnaître que la guerre n’a pas d’avenir d’autant plus qu’elle bouffe le présent. À moins qu’on finisse par reconnaître que, au bout du compte, il n’y a que des perdants. Personne ne gagne vraiment une guerre. Le plus fort est tout aussi blessé que le plus faible. Le sang coule dans les deux camps.

J’admets qu’il n’est pas facile de mettre un terme à la guerre. Il faut plus de courage pour finir une guerre que pour la déclencher. Déposons les armes et parlons-nous. Il en va de la plus élémentaire civilité. C’est nécessaire pour demeurer humains ou pour le redevenir. Noblesse oblige.

Madame Hassan, comme tant d’autres, je regrette votre assassinat. J’espère que vous n’êtes pas morte absolument pour rien.

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