Dans la synagogue de Nazareth, tous avaient les yeux fixés sur Jésus. Il se mit alors à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’écriture. » Et tous lui rendaient témoignage et admiraient les paroles pleines de grâces sorties de sa bouche. Ils disaient : « N’est-ce pas le fils de Joseph ? » Mais Jésus leur répondit : « À coup sûr, vous allez me citer le dicton : Médecin, guéris-toi toi-même. Tout ce qu’on dit s’être passé à Capharnaüm, fais-le de même, ici, dans ta patrie. » Il ajouta : « En vérité, je vous le dis, aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. Assurément, je vous le dis, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d’Élie, lorsque, durant trois ans et six mois, le ciel demeura fermé et qu’une grande famine sévit sur tout le pays ; pourtant, ce n’est à aucune d’elles que fut envoyé le prophète, mais bien à une veuve de Sarepta, du pays de Sidon. Les lépreux étaient nombreux en Israël au temps du prophète Élisée ; pourtant, aucun d’eux ne fut guéri, sauf Naaman, le syrien. À ces mots, tous dans la synagogue furent remplis de fureur. Et, se levant, ils poussèrent Jésus hors de la ville et le conduisirent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle leur ville était bâtie, pour l’en précipiter. Mais passant au milieu d’eux, Jésus allait son chemin.
Commentaire :
L ’admiration spontanée suscitée par le discours de Jésus émanait sans doute de la simplicité et de l’autorité avec lesquelles il parlait. L’auditoire dut certes s’écrier comme plus tard les gardes envoyées par les grands prêtres et les Pharisiens pour mettre la main sur lui : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme » (Jn. 7 : 46). Et tous de s’émerveiller comme le feront tant de foules frappées de son enseignement : « C’est qu’il les enseignait en homme qui a autorité et non comme leurs scribes » (Mt. 7 : 28-29). L’étonnement grandit certes du fait que l’orateur n’était à leurs yeux que le fils de Joseph, un artisan de Nazareth. Ce qui explique la réflexion de Jésus : « Aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie ».
Cette scène de Nazareth constitue une des pièces maîtresses de l’Évangile de Luc. Placé au début du ministère public de Jésus, le passage définit le programme de son action terrestre et le dénouement tragique qui en sera la conclusion. Précédés par l’entrée presque triomphale de Jésus à la synagogue, les versets 22-30 décrivent les réactions diverses des auditeurs : admiration, surprise et indignation. L’admiration des gens porte certes sur les paroles pleines de grâce qui sortaient de la bouche de Jésus ; mais davantage que sur le contenu de ces paroles, l’enthousiasme porte sur leur efficacité : elles sont porteuses de grâces que Dieu fait aux hommes. Mais l’indignation en dernier ressort va tout confondre. Contrairement à l’évangile de Marc où les auditeurs s’élevaient du fait que le petit gars de Nazareth faisait preuve de sagesse et d’une science qui les dépassaient, ainsi que d’un immense pouvoir de thaumaturge, chez Luc, la colère vient de ce que Jésus lui-même prend à partie ses compatriotes. L’application du dicton populaire : « Médecin guéris-toi toi-même » constituera un préalable nécessaire à leur reconnaissance de Jésus. Luc laisse entendre par ces propos de Jésus et ceux qui vont suivre que c’est l’ensemble du peuple d’Israël qui va se soustraire à l’œuvre salvifique de Jésus au bénéfice des païens (Rm.11 : 30-32). Jésus rapporte ici l’exemple des deux prophètes Élie et Élisée qui n’ont fait de miracles qu’au bénéfice des étrangers. L’épisode de Nazareth préfigure donc l’aboutissement inattendu de la mission de Jésus. Sa patrie et l’ensemble du peuple juif ne reconnaîtront pas en lui le prophète qui accomplit aujourd’hui les promesses de l’Écriture et n’en verront point la réalisation « Il est venu vers les siens et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn.I).
La finale du récit, tentative pour précipiter Jésus par-dessus l’escarpement de la colline qui dominait Nazareth, trait et rédaction propres à Luc, annonce l’issue tragique du ministère terrestre de Jésus : sa mort infamante hors de Jérusalem. Mais jusqu’à ce que son heure soit venue, Jésus échappera à ses compatriotes, bien que son chemin le conduise à Jérusalem.
La tentation de nous dissocier des Juifs dans cette conduite serait facile pour chacun de nous. Hélas, souvent nous avons la même attitude qu’eux sans trop nous en rendre compte. Nous adhérons à Jésus pour ensuite le rejeter. Nous admirons ses paroles et ses actes, mais sans trop en saisir l’effet et la portée pour chacun de nous. Feu de paille, tel est souvent le sort réservé à toutes nos bonnes résolutions ou conversions !