À chaque fin d’année, nous avons l’habitude d’échanger des voeux entre nous. Nous nous souhaitons de bonnes choses depuis la joie de la fête jusqu’au bonheur le plus complet possible tout au long de l’année.
La paix revient souvent dans nos voeux, surtout quand les points chauds des conflits nous touchent de près. Il faut reconnaître que la coutume remonte loin. Elle nous a été suggérée par de célestes voix. Ces éminents personnages nous ont même fourni une formule que 2000 ans d’histoire ont transformée en tradition: «Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté»!
La guerre blesse toujours. Avec le raffinement des armes, elle constitue inévitablement une injustice. La plupart du temps, la cible qu’elle atteint n’est pas celle qu’elle vise. Le véritable ennemi réussit souvent à se défiler alors que les petits et les innocents forment le lot des victimes. Jean-Paul II s’est toujours opposé à l’embargo imposé à l’Iraq au nom de cette constatation.
Il faut reconnaître également que nous éprouvons de sérieuses difficultés à gérer le mal. Nous manquons d’imagination? Peut-être. Nous manquons surtout de capacité de raisonner ce qui nous menace. Nous ne savons pas ou nous refusons de faire les analyses qui nous permettraient de saisir le mécanisme des monstruosités qui nous entourent. Nous préférons pointer du doigt de possibles coupables. Nous mettons plus d’empressement à accuser les méchants qu’à essayer de définir le mal que nous leur attribuons Ce qui faisait dire à Alain Finkielkraut que nous préférons «remplacer les problèmes par les salauds» (Le Soir de Bruxelles, 7 décembre 2002. Cité par Jean-Claude Guillebaud, Le goût de l’avenir, Paris, Seuil, 2003, p. 51)
Nos accusations sont directes, rapides, sans merci. Nous classons tout sous deux chapeaux. Les Français parlent de droite et de gauche. Les Américains à la Bush font plutôt dans la morale. Ils rangent tout sous deux colonnes: celle du bien ou celle du mal. Tout bien devient pratiquement canonisable; tout mal est radicalement mauvais. Nous transposons sur les situations que nous vivons la grille de lecture simpliste des films de cowboys où les bandits sont toujours des bandits et les bons quasiment des saints.
Les choses se compliquent quand il s’agit de nous identifier nous-mêmes. «Je n’ai pas de mal à penser que Ben Laden représente le Mal, mais j’en ai beaucoup plus à croire, comme les Américains, que nous représentons le Bien. Le danger pour les Américains est que la lutte contre le fanatisme ne les amène à devenir fanatiques eux-mêmes.» (Pierre Hassner, «Les contradictions de l’empire américain», dans Esprit, août-septembre 2002, p. 81)
Nous avons tendance à définir le bien avec la logique et les arguments que nous utilisons pour reconnaître le mal chez notre ennemi. Et nous choisissons des solutions et des démarches semblables aux siennes, nous suivons les mêmes étapes que lui pour atteindre notre bien. L’ennemi a tué, tuons-le. Nous lui reprochons d’avoir torturé, torturons-le. Ce qui est mauvais chez lui devient bon pour nous. La vengeance manque d’imagination la plupart du temps. Elle emprunte ses armes à l’autre. Elle copie ses stratégies. Elle l’imite comme un singe.
Le fanatisme, qu’il soit d’un côté ou de l’autre, demeure un fanatisme. Tuer pour le bien ou tuer pour le mal constitue toujours un meurtre. Torturer est et sera toujours immoral. La fin ne justifie jamais les moyens. Répondre à la violence par la violence, c’est s’engager dans une escalade qui risque de ne jamais finir. Pour atteindre la paix, il faut faire du neuf. Inventer. Regarder autrement et agir différemment. «Face au dualisme bêtifiant qui n’oppose que le blanc et le noir, dit le journaliste Jean-Claude Guillebaud, la solution ne réside pas dans une quelconque voie moyenne, ni dans un aimable centrisme, mais dans un au-delà des conflits ordinaires. Il ne s’agit pas de tempérer mais de traverser. Penser le nouveau, ce n’est pas tergiverser, mais s’extirper des mêlées pour tenter de faire le trou.» (Op. cit, p. 75)