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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

29e Dimanche du temps ordinaire. Année A.

Imprimer Par Jacques Sylvestre, o.p.

Morale sans loi

Alors les Pharisiens allèrent se concerter en vue de le surprendre en parole. Ils lui envoyèrent leurs disciples, accompagnés des Hérodiens, pour lui dire : « Maître, nous savons que tu es franc et que tu enseignes la voie de Dieu avec franchise, sans te préoccuper de qui que ce soit, car tu ne regardes pas au rang des personnes. Dis-nous donc ton avis : est-il permis ou non de payer l’impôt à César ? » Jésus connaissant leur perversité, riposta : « Hypocrites ! Pourquoi me tendez-vous un piège ? Faites-moi voir l’argent de l’impôt. » Ils lui présentèrent un denier. Jésus leur dit : « De qui est l’effigie que voici, et sa légende ? » – « De César », répondent-ils. Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » A ces mots, ils furent tout surpris et, le laissant, ils s’en allèrent.

Commentaire :

Est-il permis ? » La question morale par excellence ! Question de conscience susceptible de ralentir nos envolées et de mesurer nos générosités. Indice de médiocrité : se complaire, se satisfaire de ce qui est permis, ne jamais franchir l’au-delà.

Ce jour-là, la question a été posée pour piéger Jésus. Les Pharisiens et les Hérodiens tentaient de le prendre en défaut sur le terrain politique et religieux. Si la réponse favorisait César ou l’occupant, on l’accuserait de ne pas appuyer la « souveraineté » d’Israël sous occupation romaine. La réponse fût-elle « Dieu », on le dénoncerait comme ennemi de l’empereur. Mais, une fois encore, Jésus déjoue le piège de ses adversaires. Tentons de saisir d’un regard neuf le sens profond de l’épisode tant de fois entendu. La réponse de Jésus ne constituerait-elle qu’une solution pratique à un cas de conscience longuement discuté dans les écoles rabbiniques ?

MISE EN SITUATION

Cette question du tribut à payer à César intervient quelques jours après l’entrée de Jésus à Jérusalem, elle prend place dans une série de controverses. Aux multiples offensives de l’adversaire, Jésus illustre ses réponses par les paraboles des vignerons homicides, le festin nuptial… Cette fois, ses adversaires tentent de le prendre sur le plan politique et religieux : « Faut-il payer le tribut à César ou à Dieu ? » La scène se déroule en Judée et non en Galilée, car c’est en Judée seulement que l’on paie tribut à César. Or dans ce monde juif, la tentation était grande de relier politique et religieux, de subordonner la politique au religieux. Et entre l’argent et le pouvoir, existait un lien : les romains se gardaient la frappe de la monnaie comme marque de souveraineté, c’est ainsi que le denier romain portait l’effigie de l’empereur. Depuis l’an 6, la Judée, rattachée à la province romaine de Syrie et gouvernée par un préfet, devait payer directement le tribut à César. Mais ce lien entre monnaie et pouvoir posait aux Juifs un cas de conscience : payer l’impôt en monnaie impériale était reconnaître la souveraineté de l’empereur romain sur Israël, alors que pour eux, Dieu seul ou son envoyé était roi. Refuser de payer le tribut à César constituait donc pour les Juifs un signe de fidélité au judaïsme et l’expression de leur foi.

Au temps de Matthieu, ce problème, d’actualité pour les interlocuteurs de Jésus, posait une question identique au Judéo-chrétiens des communautés de Palestine ou de l’Empire. Elle questionnait même les païens convertis au christianisme qui confessaient l’unicité du Dieu de la foi. On voit donc l’intérêt de la réponse de Jésus pour les communautés chrétiennes. La réponse de Jésus demeurait opportune pour l’intelligence et la prédication évangélique du messianisme proclamé par Jésus.

Mais la question comportait un piège. « Est-il permis ou non … » Posée non seulement par les Pharisiens, mais davantage encore par les Hérodiens, partisans de la dynastie des Hérode et favorables au pouvoir romain, la question était enrobée de louange. On veut tenter de perdre l’impartial Jésus, devant l’opinion du peuple. Mais Jésus déjoue ses opposants en les plaçant devant la réalité : « De qui est l’effigie ? »

RÉPONSE DE JÉSUS.

La réponse brève et concise de Jésus ne constitue-t-elle qu’une solution pratique à un problème de vie courante ? Ce serait se dérober à la préoccupation de l’évangéliste Matthieu pour ses interlocuteurs tout en questionnement sur le messianisme de Jésus. Au-delà de l’hypocrisie de ses adversaires, Jésus n’ignorait pas que c’est la question de sa messianité qui est en jeu, la question du Royaume qu’il annonce. La première partie de la réponse « Rendez à César ce qui est à César » ne fait que corroborer l’enseignement de l’Ancien Testament : Dieu a donné le pouvoir à César et il importe de lui obéir en son domaine. Tout pouvoir vient de Dieu et Jésus ne prétend nullement s’arroger quelque pouvoir politique.

Mais le complément de la réponse « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu » invite à l’attention. Il importe d’une part de privilégier ici une interprétation susceptible de fonder la séparation de l’Église et de l’État. Mais il n’y a pas lieu d’autre part d’identifier Dieu et l’Église ou de comprendre de l’Église ce qui est dit de Dieu. La réponse de Jésus telle que rapportée par Matthieu a valeur capitale pour les croyants de son temps, elle constitue un appel très concret : accueillir le règne de Dieu en Jésus, et reconnaître en lui le Messie venu instaurer le Royaume de Dieu. Ce Royaume de Dieu n’est pas un royaume concurrent de celui de César, il est d’un autre ordre : « Mon Royaume n’est pas de ce monde », il n’interfère donc point avec celui de l’empereur. (Jn. 18 : 36)

AUJOURD’HUI

Si d’une part, tout lien avec l’autorité et le pouvoir dicte des actes légaux et incontournables : « Rendez à César ce qui est à César », d’autre part, la fidélité à Dieu ne peut se définir en termes mesurables comme l’impôt. L’expression « est-il permis » ne peut donner raison ou justifier nos supposées fidélités. La fait de fermer l’œil en fin de journée avec une conscience tranquille, parce que les commandements ont été respectés, ne peut nous justifier devant Dieu, dans le Royaume de Dieu. « Si votre justice ne dépasse pas celle des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu. » Il ne peut être question ici que de respecter la loi, il importe d’aller au-delà de la loi, de crever nos frontières, d’aller jusqu’au bout de sa grâce. « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, écrivait l’apôtre Paul aux Corinthiens, et sa grâce en moi n’a pas été stérile. J’ai travaillé plus qu’eux tous, non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est en moi. » (1 Co. 15 :10)

La loi du Royaume n’est pas d’ordre juridique, mais de l’ordre du cœur. Un seul principe peut dicter et juger notre conduite : « Petits enfants, aimons en actes, véritablement. A cela nous saurons que nous sommes dans la vérité, et devant lui, nous apaiserons notre cœur, si notre cœur venait à nous condamner, car Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout. Bien-aimés, si notre cœur ne nous condamne pas, nous avons pleine assurance devant Dieu. » (1 Jn. 3 : 20) La morale du Royaume est une morale sans loi parce qu’elle va au-delà de toute loi.

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